Résumé de la première partie : la première de mes trois journées de cours sur l’Intelligence collective à Paris 3 est dédiée aux fondamentaux, que nous explorons tout d’abord sous forme de discussion, puis à travers une série d’exercices pratiques. Ce groupe, assez jeune, allie la fraîcheur du regard à une certaine maturité du questionnement. Riches d’une large diversité d’expériences professionnelles ou associatives : football, colos, théâtre ou jobs d’été, ils cherchent des réponses pratiques aux difficultés qu’ils ont déjà pu rencontrer. Sans naïveté ni complaisance, ils ont soif d’apprendre et d’expérimenter.
Le premier exercice consiste à établir une synthèse de la discussion précédente, en répondant aux quatre questions :
- Comment faire pour anticiper et gérer les désaccords dans le groupe ?
- Comment gérer les écarts de comportement ? Faut-il appliquer des sanctions, et si oui dans quels cas ? Ou bien faut-il préférer une autre approche ?
- Qu’est-ce qu’un référentiel ? Donnez des exemples de règles implicites / explicites
- Comment gérer les émotions négatives ?
L’ambiance est celle d’une ruche au printemps. J’adore ce moment où les étudiants se lèvent, gommettes et post-it à la main, commencent à déplacer les tables et les chaises pour constituer leurs groupes de travail. L’atmosphère vibre d’une joie sérieuse, concentrée, active. La température monte.
Après un débriefing en plénière, je demande à chacun des groupes d’aller « butiner » auprès des autres équipes et de rapporter les meilleures idées pour compléter leur poster. Je leur laisse le choix de se déplacer tous ensemble, ou d’envoyer des éclaireurs. Je leur indique que le travail sera chronométré et que le premier groupe ayant complété sont poster sera déclaré gagnant. L’un des groupes, au sein duquel règne une communication très fluide, complète son poster sept minutes avant les autres.
Un second débriefing donne ensuite à chacun des cinq groupes l’occasion de partager son vécu sur la manière dont ils ont mené leur recherche, pris leurs décisions, communiqué entre eux et avec les autres équipes. Difficile de faire participer trente-cinq personnes à une telle discussion : je dois constamment solliciter du regard les petites abeilles timides du dernier rang, repérer les mains levées, garder à l’esprit le fil de la conversation, moduler le rythme et les temps de parole. Il y a beaucoup de respect entre eux. Aucun ne coupe la parole d’un autre.
Pour le troisième exercice, on recompose entièrement les groupes, réduits au nombre de quatre. Chaque équipe doit établir la synthèse de toutes les réponses à l’une des questions. Je resserre encore le timing. Ils doivent apprendre à faire connaissance avec une équipe nouvelle, tout en menant à bien leur mission en quinze minutes maximum.
Lors du débriefing, Sarah, une grande blonde aux cheveux frisés, évoque la difficulté qu’elle a éprouvée, lors de la présentation, à défendre certaines idées émises par d’autres groupes. La discussion rebondit sur le thème de l’intégration des points de vue dans toute leur diversité : faut-il s’en tenir à un vote à la majorité, essayer d’obtenir un consensus, chercher un compromis ? On approfondira ce sujet dans quinze jours avec la matrice Axio, d’Olivier Zara, qui répartit les niveaux de discussion et de décision entre le collectif, le collégial et l’individuel en fonction des besoins, des phases d’un projet, et des situations.
On évoque un phénomène d’’accélération par rapport au premier exercice, ainsi qu’une amélioration de la performance : ils expriment le sentiment de progresser d’exercice en exercice : « une fois qu’on connaît mieux les autres, on leur fait confiance, du coup on peut se répartir le travail et ça va dix fois plus vite » explique Sandrine, une jeune brune à la voix posée.
Une participante s’interroge tout de même : « est-ce qu’on n’est pas au pays des bisounours ? Dans la banque où je travaille, la hiérarchie me donne des consignes et je dois les appliquer sans discuter. » Question pertinente : l’intelligence collective est-elle réellement adaptée à toutes les situations et à tous les types d’entreprises ? La réponse, ou du moins une réponse fertile, se trouve dans le dernier livre d’Olivier Zara, la Stratégie du thé (lien ici), dont nous reparlerons dans la troisième partie.
Je raconte l’exemple de cette entreprise indienne (un centre d’appel) où le turnover était très élevé en raison de l’absence de connexion émotionnelle entre les nouveaux employés et l’entreprise. Les RH devaient dépenser des efforts considérables pour attirer et former des candidats qui ne restaient que quelques mois. Jusqu’au moment où ils ont tenté une expérience : on demandait aux nouveaux embauchés de mener une réflexion sur leurs talents, et la manière dont ils pourraient les mettre en œuvre dans leur travail quotidien. Le simple fait de poser cette question, manifestant la volonté de valoriser réellement leur contribution singulière au travail commun, a suffi à faire baisser significativement le turnover, en augmentant l’a connexion émotionnelle à l’organisation. Nous enchaînons sur Dan Pink et les trois clés de la motivation : Sens, Maîtrise (de son travail, acquisition de compétences, autonomie) et Lien social.
A la fin de la journée, tous expriment leur satisfaction d’avoir commencé à acquérir ce qu’ils perçoivent maintenant comme une compétence nouvelle. La deuxième journée, sur le thème des interactions, leur permettra de mesurer l’écart entre la compréhension d’une idée et sa mise en pratique.
Avant de se quitter, je leur propose de réfléchir à ce qui pourrait être l’expression d’un objectif commun : « Créer une communauté apprenante et mettre en pratique les techniques de l’Intelligence collective pour s’approprier des connaissances que nous pourrons utiliser dans notre travail et notre vie de tous les jours ».