Et si nous apprenions à changer dans la douceur, plutôt que dans la douleur?
Tout changement profond coûte, et c’est bien pour cela qu’une partie de nous résiste à cette idée. Même dans le cas d’un changement voulu, supposé nous apporter de réelles améliorations. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’un changement subi, pour s’adapter à de nouvelles conditions d’existence. Nous mesurons ce qu’il faudra de temps, d’efforts et de renoncements pour parvenir à un nouvel équilibre. Ce nouveau lieu de vie, ces nouveaux collègues, ces logiciels et ces process : que nous réservent-ils de bon (ou de mauvais) ? Peut-on réellement savourer la vie sans consommer de viande? Mon ancienne voiture nourrissait-elle mon sens de l’identité? Ces températures extrêmes, de plus en plus fréquentes, annoncent-elles la fin d’un monde ? Et ce corps qui vieillit : ami ou ennemi ? Hier sources de plaisir, de satisfactions, aujourd’hui freins, boulets, peut-être même adversaires ?
C’est un travail d’alchimiste auquel nous sommes conviés. Transformer les parties de nous qui ne fonctionnent plus dans ce nouvel environnement, plutôt que nous en séparer brutalement. Trier, dénouer les attaches devenues inutiles, identifier les pépites à conserver, les graines du futur. Chaque étape de ce processus nécessite la plus grande attention, du soin, de la délicatesse. Ma valeur « loyauté » doit-elle m’empêcher de rompre une relation devenue toxique? Puis-je m’affranchir d’une règle devenue obsolète tout en en respectant l’intention positive ? Prendre du recul vis-à vis d’une société obsédée par la consommation m’oblige t-il à plonger dans la pauvreté, au risque de devenir dépendant ?Mon attachement au consensus est-il compatible avec le besoin naissant d’affirmer ma singularité ? Comment déployer mes talents sans nuire et sans détruire ?
Les multiples crises qui secouent le monde autour de nous résonnent aussi dans nos mondes intérieurs, nous contraignant à faire des choix douloureux. Croyances dépassées, comportements inefficaces, tout ce qui nous empêche de vivre pleinement devrait faire l’objet d’un examen régulier, en vue d’une mise à jour.
Mais avant toute chose, il conviendrait d’honorer cette partie de nous qui résiste, d’interroger ses motivations et de saluer ce rôle, peu valorisé, de gardienne. Cette partie de nous qui résiste est sans doute une excellente gestionnaire. Elle a déjà fait ses calculs. Mieux que la partie de nous consciente, volontaire, qui se projette vers l’avenir, elle connaît les coûts cachés du changement, les deuils et les apprentissages, les premiers échecs qu’il faudra surmonter, les ombres qui n’attendent que cette occasion pour se manifester. La tristesse, la colère, le dégoût, l’excès, se réjouissent déjà secrètement de pouvoir mener la danse, parées d’une légitimité toute neuve : les voici consacrées championnes de la résistance.
L’autre partie de nous, fière de son sens du sacrifice et de son impeccable rationalité, cède vite à la tentation de dénigrer la partie de nous qui résiste. La voici bientôt affublée d’étiquettes dévalorisantes : passéiste, irrationnelle, excessive. On a vite oublié ses années de bons et loyaux services.
Et puis ces ombres qui dansent ne sont-elles pas animées de mauvaises intentions? Ne reconnaît-on pas le vieil égoïsme et cette autre partie de nous, arrogante ou manipulatrice, que nous aurions tant aimé ne pas voir?
Trop tard! Le changement les a fait sortir de leur cachette et les a mises en lumière. Honteux comme des parents dont l’enfant crie dans un lieu public, nous tentons de les raisonner ou de les distraire. Cet enfant, pourtant, c’est le nôtre. Il est issu de nous. Il nous prolonge et nous ressemble. Alors nous allons commencer par lui dire que nous l’aimons, que nous sommes là pour lui. Nous comprenons sa peine et sa colère. En douceur, nous nous efforçons d’éveiller son intérêt pour ce nouvel espace de jeu : le futur. Il ne pourra pas y emporter tous ses jouets, mais il y en aura d’autres. Et s’il a peur de monter sur ce petit vélo, nous le soutiendrons jusqu’à ce qu’il surmonte sa frayeur et trouve son équilibre.
Sous nos yeux attendris, cet enfant aura fait l’apprentissage d’une capacité nouvelle. Plus tard, peut-être, il se souviendra qu’il avait su danser avec sa peur. Et nous, comme lui, sachons danser avec nos ombres : elles font partie de nous, leur énergie nous porte et ne demande qu’à tracer avec nous de nouvelles figures, dans la lumière.
Avec des apports de Stéphane Dieutre et de Christine Marsan, que je vous invite à retrouver dimanche 26 mars, à 18.00, pour le troisième webinaire de ma série “Crise, émergences et transition”. Lien ici : https://rb.gy/ov4ju9